L'adaptation de
La Petite Sirène, le conte de Hans Christian Andersen
La Petite Sirène est l'une des oeuvres les plus célèbres de l'écrivain danois
Hans Christian Andersen, qui a également écrit les contes du
Vilain Petit Canard (1842, adapté par Disney en 1931 dans une
Silly Symphony), de
La Bergère et le Ramoneur (qui inspira le film
Le Roi et l'Oiseau de Pierre Grimault, 1957), ou encore de
La Petite Fille aux allumettes.
Publié en 1837, le
conte inspira très tôt les studios Disney, au début des années 1940.
L'équipe de Walt Disney envisageait alors de l'adapter en tant que
court-métrage. Le dessinateur pour enfant Kay Nielsen réalisa une série
de dessins racontant l'histoire. Réalisés en 1941, ils resservirent près
de cinquante ans plus tard pour l'adaptation signée John Musker et Ron
Clements. En particulier les dessins représentant le naufrage du bateau
du Prince Eric furent intégrés au storyboard de 1989.
Les studios Disney se lancèrent alors dans la réalisation d'un nouveau conte de fée, ce qui n'avait pas été fait depuis
La Belle au Bois Dormant,
trente ans auparavant. Mais le chef-d'oeuvre réalisé à la fin des
années 1980 prend quelques libertés avec le récit original de Hans
Christian Andersen, ainsi qu'avec l'ébauche d'une version de Walt Disney
des années 1940. Contrairement à
Blanche-Neige et les Sept Nains ou
Cendrillon dont le scénario avait suivi l'histoire du conte original, l'adaptation
de La Petite Sirène fut plus détachée, notamment pour rendre la fin
plus heureuse. Voyons donc ce qui diffère entre ces versions !
Le contexte de l'histoire Le conte original
d'Andersen raconte une histoire qui se déroule sous l'océan, dans le
château du Roi de la Mer, veuf depuis de longues années. Celui-ci avait
six filles (avec l'héroïne). Dans l'adaptation de 1989, il y a sept
filles (Ariel et six autres). Andersen mentionne également la présence
de la mère du Roi, qui tient le château. Si les scripts des années 1940
montrent que Disney avait voulu reprendre ce personnage, il n'apparaît
pas dans la version finale.
Dans le conte d'Andersen,
les sirènes sont autorisées à monter à la surface lorsqu'elles
atteignent l'âge de quinze ans afin de contempler les navires et les
villes au loin. La plus jeune d'entre elles était la plus impatiente de
découvrir le monde des humains, mais c'était celle qui devait le plus
attendre.
Dans le film de 1989, on
sait qu'Ariel a seize ans. Néanmoins, si la sirène rêve de monter à la
surface, son père, le Roi Triton, interdit à ses filles de quitter
l'océan.
Quelques dessins de Kay Nielsen (1941) Le naufrage et le sauvetage du prince Lorsque la cadette des
sirènes se rend à la surface, elle croise un navire avec à son bord un
jeune prince de son âge qui célèbre son anniversaire. Mais une tempête
éclate et le bateau sombre. La sirène, qui découvre que les hommes ne
peuvent respirer dans l'eau, sauve le prince et le dépose sur un rivage.
Mais une jeune fille arrive, obligeant la sirène à se cacher. Le prince
se réveille alors, et croit que c'est la jeune femme qui l'a sauvé, et
non la sirène.
Cette partie de
l'histoire d'Andersen est à peu près respectée dans la version
disneyenne, ormis le fait qu'Ariel doit s'enfuir à cause de l'arrivée du
chien du prince, et non d'une jeune femme. Mais Eric ne sait pas qui
l'a sauvé de la noyade. En 1941, Walt Disney trouva convaincant que la
sirène chante un chanson au-dessus du prince inconscient qui entend
cependant la chanson, mais ne voit pas la sirène avant qu'elle s'en
aille. Il restera hanté par cette voix tout au long du film.
Le désir de découvrir le monde des humains et d'acquérir une âme immortelle Ariel rêve depuis
toujours de quitter l'océan pour découvrir le monde des humains. Depuis
des années, elle a accumulé des objets trouvés dans des épaves. Mais
cela ne lui suffit pas, elle souhaite appartenir à un autre monde que
celui de l'océan.
Dans le conte d'Andersen,
après l'épisode du sauvetage du prince, la petite sirène va interroger
sa grand-mère sur les humains. Elle apprend que les hommes ont une vie
plus courte que celle des sirènes qui peuvent atteindre 300 ans. Mais en
contrepartie, lorsqu'elles meurent, les sirènes deviennent écume de la
mer, alors que les humains acquièrent une âme immortelle. La sirène dit
alors qu'elle veut posséder une âme immortelle. Il lui faudra pour cela
être aimée par un humain plus que par son père et sa mère.
Dans
son ébauche dans les années 1940, Walt Disney avait centré son scénario
sur le coup de foudre pour le prince, plus que pour l'envie de posséder
une âme immortelle. Cette idée fut reprise par l'équipe du film de
1989.
La sorcière des mers Désireuse de découvrir le
monde humain et d'en faire partie, le petite sirène décide de se rendre
chez la sorcière des mers, qui sait déjà ce qu'elle veut. Elle lui
propose alors un marché : elle peut lui donner des jambes de femme
humaine en échange de sa langue, et donc de sa voix. De plus, si le
prince aime une autre femme, la sirène deviendra écume de l'eau, le
lendemain du mariage du jeune homme. La petite sirène accepte, se fait
couper la langue et devient humaine. Les jambes dont elle est désormais
dotée la font souffrir, condition pour qu'elle puisse séduire le prince.
Cette douleur traduit sans doute celle qu'a connu Andersen tout au long
de sa vie.
L'idée de pacte est
repris dans l'adaptation de Disney. Mais le fait de couper la langue de
la sirène était trop sanglant pour le mettre en image, les réalisateurs
se limitèrent à la perte de la voix d'Ariel.
Le personnage de la
sorcière est beaucoup plus développé dans le film de Disney que dans le
conte original d'Andersen. Ursula est un personnage abouti, au graphisme
recherché pour être en adéquation avec sa personnalité.
La vie humaine de la sirène et le dénouement Dans le conte d'Andersen,
la sirène devenue humaine s'échoue sur le rivage et est retrouvée par
le prince. Elle part alors vivre dans son palais un certain temps, et
tente de le séduire sans pouvoir user de sa voix. Si elle parvient à
devenir sa préférée, "faire d'elle sa femme, l'idée ne lui en venait
pas", car ce n'est pas celle qui a sauvé sa vie.
Le
prince finit par épouser la fille du roi voisin, qui est celle qui l'a
retrouvé sur le rivae le jour du naufrage. Les deux jeunes gens se
marient sur un bateau en pleine mer. La petite sirène sait alors qu'elle
va mourir. Ses soeurs essaient de la sauver en sacrifiant leurs cheveux
à la sorcière pour lui permettre de redevenir sirène. Mais pour que
cela se réalise, il faut que la sirène tue le prince, ce qu'elle refuse.
Elle se jette à la mer et devient écume. Elle ne meurt pas cependant,
elle devient "fille de l'air", veillant sur les hommes pendant 300 ans
afin de gagner l'âme immortelle.
Dans la version des
années 1940, la fin était encore plus tragique puisque la sirène
disparaissait totalement après être devenue écume.
Dans le film signé Disney, les
scénaristes ont ajouté l'idée d'un compte à rebours : Ariel doit
recevoir un baiser du prince avant la fin du troisième jour. Alors que
le Prince Eric s'apprête à être séduit et décide d'oublier la fille
mystérieuse qu'il croît être sa sauveuse, la sorcière Ursula apparaît
sous la forme d'une jeune femme, chantant avec la voix d'Ariel. Le
Prince décide alors immédiatement de l'épouser.
La fin du conte
d'Andersen était beaucoup trop tragique pour un film Disney. Les
réalisateurs prirent alors leurs distance avec l'oeuvre originale,
faisant disparaître la sorcière grâce au Prince, puis en confiant un
rôle important au père d'Ariel, qui se rend compte de ce que sa fille
veut vraiment pour être heureuse. Il lui donne une apparence humaine
pour qu'elle puisse épouser le prince.
Au final, les studios Disney a donc su adapter ce
conte d'Hans Christian Andersen pour y insufler la magie propre à leurs
films, tout en conservant l'essentiel de l'oeuvre, à savoir la nécessité
de réaliser des sacrifices pour obtenir ce que l'on souhaite (perdre sa
voix pour devenir humaine, puis perdre sa famille pour vivre avec le
prince). Un chef-d'oeuvre de l'animation qui rend merveilleusement
hommage à l'oeuvre de l'écrivain danois...